Nâzim Kikmet (Le peuplier)
Des heures en double
Des années tu pensas
au parfum des pétales restés
sur un rebord de fenêtre fermée
au creux d’un lit oublié
dans une chambre
d’ombres et de carrelage
puis ils ne furent plus que mots
et tu les tournais en vain
assoiffée de bribes
portées parfois par le vent
temps d’absence et de miroirs
tu vivais de reflets et d’images
la croisée des chemins
sans remède
doublait à l’infini
chacun de tes pas
le ciel était ton océan
et tu rêvais de voilures
tissées par la nuit
jusqu’à toucher le rivage perdu
les heures avaient leur double
là-bas de l’autre côté
et d’un doigt posé sur ton épaule
elles venaient t’interpeller
temps de mots et d’oubli
ravalés dans l’ampleur de la vague
tu marchais en seule quête
de ce qui mènerait
à un maintenant
dont tu ne fus pas
toile de la langue
compagne de ton silence
passeuse éperdue
d’une mer interdite
tu te voulais poisson
au fil d’une onde prodigue
oiseau adonné
à des cimes lointaines
pour rejoindre
ce qui n’avait pas été
lent fil de soie
glissé sur l’étoffe
qui courait entre tes doigts
et tu croyais parfois
entendre
le choc des verres à thé
là-bas de l’autre côté
où les rais du soleil
dansaient dans une pièce vide
Comme les marches se succèdent
interminables
vers la demeure restée inhabitée
Un pioppo freme in me,
ovunque sia, sento la sua voce
da quando sono in esilio.
Nâzim Kikmet (il pioppo)
Ore sdoppiate
Per anni pensasti
al profumo dei petali rimasti
s’un bordo di finestra chiusa
nel cavo d’un letto dimenticato
in una camera
d’ombre e di piastrelle
poi non furono che parole
e tu le giravi in vano
assetata di frammenti
talvolta portati dal vento
tempo d’assenza e di specchi
tu vivevi di riflessi e d’immagini
l’incrocio delle strade
senza rimedio
raddoppiavi all’infinito
ciascuno dei tuoi passi
il cielo era il tuo oceano
e sognavi velature
intessute dalla notte
fino a sfiorare la riva perduta
le ore avevano il loro doppio
laggiù dall’altra parte
e con un dito posato sulla tua spalla
venivano a chiamarti
tempo di parole e di dimenticanza
inghiottite dall’ampiezza dell’onda
tu camminavi chiedendoti soltanto
ciò che ti avrebbe portato
a un adesso
di cui non fosti
tela della lingua
compagna del tuo silenzio
traghettatrice folle
d’un mare proibito
ti volevi pesce
sul filo di un’onda prodiga
uccello abbandonato
alle lontane vette
per raggiungere
ciò che non era stato
lento filo di seta
scivolato sulla stoffa
che correva tra le tue dita
e a volte credevi di sentire
l’urto dei bicchieri per il tè
laggiù dall’altra parte
dove i raggi del sole
danzavano in una stanza vuota
Come i gradini vanno in successione
interminabili
verso la dimora rimasta inabitata
Elles
Parentes de la lune
Comme des étoiles
Elles lisent éperdues
Dans le grain des nuages
Le marc de cafés égarés
Puis ravaudent la brume
De quelques brins de songe
Cueillis tôt le matin
Sur le bas-côté d’un autre jour
Leurs tasses sont ébréchées
Et leur pain trop dur
Mais elles ne le voient pas
Amantes, toujours amantes
De la nuit qui s’en va
Poème publié dans l’anthologie Pas d’Ici Pas d’Ailleurs, Voix d’Encre.
Esse
Parenti della luna
Come stelle
Esse leggono sperdutamente
Nella grana delle nuvole
Il fondo di caffè smarriti
Poi rattoppano la bruma
Da qualche briciole di sogno
Raccolte presto al mattino
Sulla banchina di un altro giorno
Le loro tazzine sono scheggiate
E il loro pane troppo duro
Ma non lo vedono
Amanti, sempre amanti
Della notte che se ne va
Poesia pubblicata nell’antologia Pas d’ici Pas d’Ailleurs, Voix d’Encre,
Manhattan redux
tu accroches tes rêves
au dos de chaises bancales
faute des arbres
dont tu plantas ton enfance
tu trempes tes phrases
dans un café trop clair
et tu secoues les nuages
à la fenêtre
en bas dans la rue
des miettes d’étoiles
tournoient lentement
puis se posent sur le sol
mais tu ne les vois pas
toi l’exilée de la Grande Ourse
pas plus que tu ne retrouves
tes étés lointains
sur le quai de la 168ème rue
ligne A vers le Bronx
c’était avant pas tout à fait hier
des pages entières de journaux chinois
un parapluie naufragé
près d’un bouquet de roses fanées
dans leur emballage
des restes de tandoori masala
flamboient à la vitrine
auras-tu assez de ces bonnets et de ces écharpes
quand rue et passants crachent tout ce froid
tant de marées
sans autre moisson
que l’oubli
New York, le 13 décembre 2009
Poème publié dans l’anthologie Pas d’Ici Pas d’Ailleurs, Voix d’Encre.
Manhattan redux
Appendi i tuoi sogni
sul retro delle cose sbilenche
colpa degli alberi
dove piantasti la tua infanzia
tu inzuppi le tue frasi
in un caffè troppo chiaro
e scuoti le nuvole
alla finestra
giù nella strada
briciole di stelle
volteggiano lentamente
poi si posano sul suolo
ma non le vedi
tu l’esiliata dell’Orsa Maggiore
e neppure ritrovi
le tue estati lontane
sulla banchina della 168esima strada
linea A verso il Bronx
era prima non proprio ieri
pagine intere di giornali cinesi
un ombrello naufragato
vicino a un mazzo di rose appassite
nel loro imballaggio
resti di tandoori masala
fiammeggianti in vetrina
avrai abbastanza di questi berretti e sciarpe
quando strada e passanti sputano tutto questo freddo
tante maree
senz’altre vendemmie
tranne la dimenticanza
New York, il 13 dicembre 2009
Poesia pubblicata nell’antologia Pas d’ici Pas d’Ailleurs, Voix d’Encre.
Demain
Course des nuages
infini d’une aube nouvelle
là-bas au fond du ciel
où poussent les étoiles
tu suis de tes mains nues
posées sur les murs de chaux
l’encre d’un monde à venir
tu brises de tes poings
tant d’années de silence
peu importe le prix
la lumière sera ton pain
les mots seront ton eau
la dignité de tes lèvres
même les ombres
ont changé de nom
dans les jardins
où les amants
cherchent demain
16 mars 2011
Beni Khalled, Tunisie
Domani
Corsa di nuvole
infinito di un’alba nuova
laggiù in fondo al cielo
dove crescono le stelle
tu segui con le tue nude mani
posate sui muri di calce
l’inchiostro di un mondo a venire
tu frantumi con i tuoi pugni
tanti anni di silenzio
poco importa il prezzo
la luce sarà il tuo pane
le parole saranno la tua acqua
la dignità delle tue labbra
anche le ombre
hanno cambiato nome
nei giardini
dove gli amanti
cercano domani
16 marzo 2011
Beni Khalled, Tunisia
Habits
Regards enlisés dans la brume
ils s’abîment sur l’asphalte
où cognent tant de pas inconnus
l’étoffe rien que l’étoffe
plis et replis douillets à souhait
tu tailles tes lainages marques à la craie
les pièces de tissu coupées à l’aune de tes rêves
bâtis-les patiemment d’un fil blanc bien visible
puis assemble raccommode
ce que le temps et les autres ont éraillé
pique de ton aiguille et repasse d’une main ferme
l’ampleur dont tu vas t’envelopper
forte des nuits et des songes
dont tu as tissé ton vêtement
un dé rempli d’espoir pour pousser ton aiguille
Abiti
Sguardi insabbiati nella bruma
s’inabissano sull’asfalto
dove urtano tanti passi sconosciuti
la stoffa solo la stoffa
pieghe e contropieghe a iosa
tu tagli le tue garzature segni col gesso
i pezzi di stoffa sagomati sul metro dei tuoi sogni
imbastiscili pazientemente con un filo bianco ben visibile
poi assembla rappezza
ciò che il tempo e gli altri hanno sfilacciato
punta con il tuo ago e stira con mano ferma
l’ampiezza con cui ti avvolgerai
forte di notte e di sogni
con cui hai intessuto la tua veste
un dado riempito di speranza per spingere il tuo ago
Voyageur d’encre
Tu cherches
à la lisière des pages
ces allées de mots
où frémit
un battement d’ailes
égaré sous le ciel
clarté d’eau éblouie
à ton regard assoiffé
lente parole
à la nuit du fleuve
où épris de mots
qui brisent ta voix
tu lis le monde
tracé sur la paume inversée
du poème
Viaggiatore d’inchiostro
Cerchi
sull’orlo delle pagine
questi viali di parole
dove freme
un battito d’ali
smarrito sotto il cielo
chiarità d’acqua abbagliata
al tuo sguardo assetato
lenta parola
alla notte del fiume
dove stregato di parole
che frantumano la tua voce
leggi il mondo
tracciato sul palmo rovesciato
della poesia
*
Passants de haute nuit
en quête d’un arbre
où rejoindre les nuages
nous allons notre route
traversés de mots et d’images
part secrète du voyage
où épeler aux ombres
ce que nous sommes
le chant se lève
très loin en nous
compagnons du vent
poèmes épris du fleuve
où s’en va le monde
*
Passanti d’alta notte
in cerca d’un albero
in cui raggiungere le nuvole
andiamo per la nostra strada
attraversati da parole e immagini
parte segreta del viaggio
dove compitare alle ombre
ciò che siamo
il canto si alza
molto lontano in noi
compagni del vento
poesie rapite dal fiume
in cui il mondo s’incammina
La fenêtre
ample l’obscur en ses ravines gelées
roule éboulis de roc et de glace
l’œil mangeur de mots attend
figé dans une broussaille
la fenêtre jaillit fabuleuse planète
accrochée à la nuit
un homme y peint des étoiles
puis les range une à une
dans un coffre de bois
l’oiseau près de lui bat des ailes
une femme coud à la table
des morceaux de ciel clair
l’enfant à ses côtés y cherche demain
patiente lueur d’ambre
l’œil mangeur de mots guette
à l’ubac de leurs rêves
La finestra
ampio l’oscuro nelle sue borre gelate
rotola smottamento di roccia e ghiaccio
l’occhio divoratore di parole attende
rappreso in una boscaglia
la finestra sorge favoloso pianeta
affibbiato alla notte
un uomo vi ci dipinge le stelle
poi le ripone ad una ad una
in un cassone di legno
l’uccello vicino scuote le ali
una donna cuce al tavolo
frammenti di limpido cielo
il bambino al suo fianco vi cerca domani
paziente lucore d’ambra
l’occhio mangiatore di parole in agguato
sul versante dei loro sogni
Juin 1976
Les maisons de Carthage basculent. Englouties dans la brume neigeuse du hublot. Fauchées sous mes pieds. Silhouettes aimées, debout sur le quai lorsque le train s’ébranle. Ne rien perdre d’images en déroute. Serrer au fond de soi ce qui est déjà en train de se faire mémoire. Les terrasses, ce blanc marbré de sable. Celui d’ici, devenu là-bas. Les anciens ports puniques, Sidi Bou Saïd, La Marsa. Une terre à laquelle je suis arrachée sans retour. Me reste l’immensité de la mer, au-delà de la côte qui s’en va. Ainsi commence le temps de l’absence et des lettres. Envoyées par les êtres chers, elles exacerbent le manque. La vie continuée sur l’autre rive, sans qu’on y soit. Pour seul bagage, des mots tracés sur le papier.
Des années sans revenir...
Giugno 1976
Oscillano le case di Cartagine. Inghiottite dalla bruma nevosa dell’oblò. Falciate sotto i miei piedi. Siluette amate, in piedi sul binario mentre il treno muove. Non perdere niente dell’immagine svanita. Stringere in fondo a sé ciò che già si sta facendo memoria. Le terrazze, questo bianco marmoreo di sabbia. Quello che è qui diventa laggiù. Gli antichi porti punici, Sidi Bou Saïd, La Marsa. Una terra dalla quale sono strappata senza ritorno. Mi rimane l’immensità del mare, al di là della costa che se ne va. Così comincia il tempo dell’assenza e delle lettere. Inviate dagli esseri cari, inaspriscono la mancanza. La vita continua sull’altra riva, senza di noi. Come unico bagaglio, le parole tracciate sul foglio.
Anni senza tornare…
La première visite après une très longue absence
Presque une vie entière. Tunis terme d’éternité… Années ensablées au chenal d’une mémoire engourdie. Jamais tout à fait endormie. Troublée par l’odeur de terre et de mer mêlées. Effrayée par ce que le retour ramène du passé. Contre toute attente, la lumière est telle qu’autrefois. Déferle dans le verger où le sol meuble accueille mon pas aussi aisément que le rêve. Les orangers chargés de fruits trop mûrs, laissés en l’espoir de visiteurs devenus improbables. Si longtemps. Les êtres chers là où nous les avons quittés… Leurs étoffes chatoient dans l’après-midi.
La prima visita dopo una lunghissima assenza
Quasi un’intera vita. Tunisi termine d’eternità… Anni insabbiati nel canale d’una memoria assopita. Mai del tutto addormentata. Turbata dall’odore di terra e di mare mischiate. Spaventata perché il ritorno riporta passato. Inaspettatamente, la luce è la stessa d’un tempo. Irrompe nel frutteto dove il suolo arreda accoglie il mio passo agevole quanto il sogno. Gli alberi di arancio carichi di frutti troppo maturi, abbandonati con la speranza di visitatori divenuti improbabili. Così a lungo. Quegli esseri cari laggiù dove li abbiamo lasciati… Le loro stoffe cangianti nel meriggio.
Vendredi 14 Janvier 2O11
Pâleur du jour à la fenêtre. Ai-je pris le temps de m’y arrêter alors que je vais de l’écran de la télévision à celui de l’ordinateur ? À l’affût des bribes de ce qui se passe sur l’avenue Bourguiba. Fragments d’informations, bouts d’images envoyées par des téléphones portables. Le cœur au bord du vide.
La poitrine saturée d’angoisse.
Des heures durant une foule qui redresse la tête.
Venerdì 14 gennaio 2011
Pallore del sole alla finestra. Ho preso il tempo di fermarmici mentre vado dallo schermo della televisione a quello del computer? A caccia di frammenti di ciò che accade sul viale Bourguiba. Briciole d’informazioni, pezzi d’immagini inviate dai cellulari. Il cuore sull’orlo del vuoto. Il petto saturo d’angoscia.
Per ore una folla che raddrizza il capo
Frammenti da Tunisie, carnets d’incertitude, Elyzad, 2013,