PREMIÈREMENT
Peut-être qu’avec la neige, je t’ai fait des adieux.
En janvier, tu avais fixé des devoirs à ton calendrier,
De petites alvéoles qui t’aideraient à respirer.
Loin du rêve, je marchais avec une canne ornée d’animaux mythiques :
C’était un masque.
Car chaque fois que je trébuche dans les crevasses des trottoirs,
Je te fais des adieux.
Je me prédis une mort plus que lente à tout regarder.
Les hommes mettent un temps fou à repaver les rues.
J’entre dans l’église, je questionne les habitants de maisons
À moitié détruites.
Je n’attends pas de réponse, mais je me fonds à leurs paroles.
Les oiseaux picorent des miettes de pain sur le sol.
Le train passe et la terre tremble à nouveau.
IN PRIMO LUOGO
Forse con la neve, ti ho detto addio.
In gennaio, avevi fissato dei compiti nel tuo calendario,
piccoli alveoli per agevolarti il respiro.
Lontano dal sogno, camminavo con un bastone ornato di mitici animali:
era una maschera.
Poiché ogni volta inciampo nelle crepe dei marciapiedi,
ti dico addio.
Prevedo per me una morte più che lenta a furia di guardare tutto.
Gli uomini impiegano un tempo dissennato a ripavimentare le strade.
Entro in chiesa, interrogo gli abitanti delle case
per metà distrutte.
Non attendo risposta, ma mi accorpo alle loro parole.
Gli uccelli becchettano briciole di pane al suolo.
Passa il treno e la terra trema di nuovo
VILLE IMMORTELLE
Ce que j’ai vu :
Lenteur éternelle, chambres préservées comme des idoles.
Du présent où tu vis.
Comme des idoles. Sous une architecture de fer.
Chiens fidèles, couchés avec leur maître.
Amants figés dans la pierre.
Les citadins encerclés, les
Serpents de bronze, les graffiti.
Bagues d’épouses, colliers d’esclaves.
Enfant lové entre deux corps.
Le passé me revient.
Jour plus noir que toutes les nuits.
Nuit insistante sous mon crâne :
Une pluie de lapilli.
Il y a donc une cité en ruines sous chaque ville.
C’est le chant des siècles des montagnes des sirènes de boue.
Au musée, j’ai volé une partie des lettres immortelles
Et je suis partie.
La mer a reculé, les animaux marins meurent sur le sable.
Il y a le feu. Il y a la vigne.
La vie est promise, la vie est cendres meurtrières.
On doit se rendre et mourir.
On doit feuilleter les pages et quitter l’abri.
Une fine couche de neige recouvre le vide.
CITTÀ IMMORTALE
Ciò che ho visto:
lentezza eterna, camere custodite come idoli.
Del presente dove vivi.
Come idoli. Sotto un’architettura di ferro.
Cani fedeli, sdraiati con il loro padrone.
Amanti pietrificati.
I cittadini accerchiati, i
serpenti di bronzo, i graffiti.
Anelli di spose, collane di schiavi.
Bambino raggomitolato tra due corpi.
Mi ritorna il passato.
Giorno più nero di tutte le notti.
Notte insistente sotto il mio cranio:
una notte di lapilli.
Vi è dunque una città in rovina sotto ogni città.
È il canto dei secoli delle montagne sirene di fango.
Al museo, ho rubato una parte di lettere immortali
e sono partita.
Il mare è indietreggiato, gli animali marini muoiono sulla sabbia.
Vi è il fuoco. Vi è la vigna.
La vita è promessa, la vita è cenere assassina.
Dobbiamo arrenderci e morire.
Dobbiamo sfogliare le pagine e lasciare il riparo.
Un sottile strato di neve ricopre il vuoto.
VILLE NOYÉE
J’ai voulu te décrire la nuit.
J’aurais écouté ton cœur dans la province de la nuit.
J’aurais ensuite ramassé des colliers et refait le trajet du gouffre.
Mais tout devient marécage.
Le ciel est si bas, j’ai tout de suite pensé à la fin du monde,
À la disparition d’un point déjà noyé sur la carte.
Les morts quitteront bientôt leur tombe pour flotter aux côtés des vivants.
Les cercueils dérivent déjà dans l’histoire.
Je t’ai dit qu’il y avait des digues, mais rien pour empêcher la mer d’avancer.
Je t’ai dit qu’il y a maintenant des marées dans les rues de la ville ?
Tu as entendu parler de la zone de guerre.
C’est la guerre : langue morte, police fantôme, marées de ville.
Tu mêles tout à ma propre vie de noyée.
J’ai déjà porté un masque ici.
J’ai déjà prié, fers aux pieds.
Un rêve a martelé mon crâne, un corps s’est perdu dans l’océan noir.
Lorsque je revois le perroquet à la fenêtre, je me couche à nouveau sans espoir.
Tu sais. Il n’y a pas que des villes illuminées, des ports usés.
Il y a tout ceci, défoncé, effondré, sous-marin.
CITTÀ ANNEGATA
Ho voluto descriverti la notte.
Avrei ascoltato il tuo cuore nella provincia della notte.
Avrei in seguito raccolto collane e ripercorso il tragitto del baratro.
Ma tutto diventa palude.
Il cielo è così basso, ho subito pensato alla fine del mondo,
allo sparire di un punto ormai annegato sulla mappa.
I morti lasceranno a breve la loro tomba per galleggiare a fianco dei vivi.
Le bare già derivano nella storia.
Ti dissi che vi erano delle dighe, ma nulla per impedire al mare di farsi avanti.
Ti dissi che ora vi sono maree nelle strade della città?
Hai sentito parlare della zona di guerra.
È la guerra: lingua morta, polizia fantasma, maree di città.
Frammescoli tutto alla mia vita di annegata.
Qui ho già portato una maschera.
Ho già pregato, piedi incatenati.
Un sogno ha martellato il mio cranio, un corpo s’è disperso nel nero oceano.
Quando rivedo il pappagallo alla finestra, mi corico ancora sfiduciata.
Lo sai. Non vi sono soltanto città illuminate, porti consumati.
Vi è tutto questo, squarciato, sprofondato, sottomarino.
VILLE DU CHAUD ET DU FROID
Je parcours l’allée de la mort, le silence est puissant
Comme celui d’une main coupée gisant dans une décharge.
On t’a dit qu’aimer était difficile, tu as marché contre le vent
Et planté ton cœur dans un abri.
Le cinéaste a filmé des pans entiers de vies et la mort a reculé
D’un pas dans l’oubli.
Un seul pas.
Et tout a recommencé, les chiens sont morts gelés,
Leurs yeux pareils à des lames de brouillard.
De petits feux se sont allumés.
Pas d’ombre, pas de passage,
Pas de chagrin à emporter.
J’ose me distraire au pied de la pyramide rose,
Souffler dans un instrument à la forme de Dieu aztèque,
Imiter l’amour enlacé dans le froid.
Ce soir, l’attente va s’agripper à toi,
Et tu finiras par jeter de vieux cailloux
Dans l’enceinte du temps.
CITTÀ DEL CALDO E DEL FREDDO
Percorro il viale della morte, il silenzio è imperante
come quello di una mano tagliata che giace in una discarica.
Ti dissero ch’era difficile amare, camminasti controvento
piantando il tuo cuore in un rifugio.
Il regista filmò interi lembi di vita e la morte indietreggiò
d’un passo nell’oblio.
Un solo passo.
E tutto è ricominciato, i cani sono morti assiderati,
gli occhi uguali a lamine di nebbia.
L’avvampare di piccoli fuochi.
Nessun’ombra, nessun passaggio,
nessun patema da espugnare.
Oso distrarmi ai piedi della piramide rosa,
soffiare in uno strumento dalla forma del Dio azteco,
imitare l’amore avvoltolato nel gelo.
Stasera, l’attesa a te s’avvinghia,
e finirai col gettare vecchi sassi
nella cerchia del tempo.
TROIS GARDES DU PASSÉ
Une seconde fois,
Le feu a délesté ses armes sur la côte,
Et tout a été perdu.
Au cimetière, les enfants sont cordés comme des écoliers torturés.
Je m’accroupie sous le songe rapide des habitants de
Nulle part.
Personne ne veut plus parler.
Malgré les arbres qui poussent sur cette terre aride.
Malgré le malheur qui annonce les perles du feu.
Trois chevreuils traversent la route,
Un pas de côté dans le noir profond.
Je te couvre de papiers argentiques,
Toi, et les animaux de grand bois.
Le village orphelin pleure dans la manche
De mon manteau d’automne.
Toute pensée est ainsi ravagée.
TRE GUARDIE DEL PASSATO
Una seconda volta,
il fuoco ha ceduto le sue armi sulla costa,
e tutto è andato perduto.
Al cimitero, i bambini sono attorcigliati come bambini torturati.
Mi accovaccio sotto il sogno rapido degli abitanti di
alcun luogo.
Nessuno vuol più parlare.
Malgrado gli alberi che crescono su quest’arida terra.
Malgrado la sventura che preannunzia le perle del fuoco.
Tre caprioli attraversano la strada,
un passo di lato nel profondo buio.
Ti ricopro di fogli d’argento,
te, e gli animali d’immenso bosco.
Il villaggio orfano piange nella manica
del mio manto d’autunno.
Ogni pensiero è così devastato
VILLE MINIATURE
La guerre a misé sur un grain de ta peau.
Je te rapporte une légende :
On a construit un abri pour les fillettes qui meurent.
Oublie les doigts, oublie ce qui touche ton cœur.
On a récolté le sang des filles,
On a rebâti la petite cour où dorment les surveillants.
On a tranché un visage en deux.
C’est ainsi pour les oiseaux qui s’en vont ailleurs,
C’est ainsi pour les arcanes de la maladie.
On écrit dans la poussière :
Tu croirais au contraire d’un miracle, tu enjamberais le pont de jamais.
Il n’y a donc pas de mot ?
Tous les chemins sont hantés par le passé.
Des fils électriques me rattachent à toi,
Comme lorsque le monde faiblit.
CITTÀ MINIATURA
La guerra ha scommesso su di un neo della tua pelle.
Ti riferisco una leggenda:
si è costruito un rifugio per le ragazzine che muoiono.
Dimentica le dita, dimentica ciò che sfiora il tuo cuore.
Si è raccolto il sangue delle ragazze,
si è ricostruito il cortiletto dove dormono i sorveglianti.
Si è reciso in due un volto.
Così avviene per gli uccelli che vanno altrove,
così avviene per gli arcani della malattia.
Si scrive nella polvere:
crederesti a un miracolo al contrario, scavalcheresti il ponte del mai.
Quindi non vi è parola?
Tutte le strade sono molestate dal passato.
Fili elettrici mi uniscono a te,
come quando il mondo si affievolisce.
Da Ce que je vois (inediti)
J’ai cru dormir un instant
un miracle se produisait
je courais
en suivant des pistes de loups
le temps était aussi complexe
que lumineux
Per un attimo m’è parso di dormire
un miracolo avveniva
correvo
seguendo piste di lupi
il tempo era tanto complesso
quanto luminoso
Je me souviens
de poèmes sauvages
peu nombreux
telles des plantes nouées
qui naissent
sous la véranda
je les récite
sans bouger les lèvres
sous l’eau
ma peau a changé
je ne crois pas aux baisers
Mi ricordo
poemi selvaggi
non numerosi
come piante intrecciate
che nascono
sotto la balconata
li recito
senza muovere le labbra
sott’acqua
la mia pelle è cambiata
non credo ai baci
Da Sombre Ménagerie (Éd. du Noroît)
ÉLISE TURCOTTE
