Viatique
Le monde est mon lieu, dit le poème. J’apprends devant l’étonnante architecture des montagnes L’extrême opacité des choses. Même l’émotion est devenue chose parmi les choses. Quant à la hauteur ou la profondeur, elle est dans les mots Plus profonde et plus haute que toute réalité. En moi, dit encore le poème, Il n’y a nulle différence entre l’amour et la mort, Entre une clé et un geste d’adieu, Entre le don et l’apparence, Entre la menace et l’acacia, Entre un quartier de lune et le chuchotis des racines, Entre une chaise de jardin et notre petite épiphanie quotidienne. Et la rivière passe avec les mots, toujours autre et toujours la même. Je demeure dit enfin le poème Au plus fort du silence. Chaque fois que le vide est franchi, Quand le soleil en moi se lève Ou que la terre s’assombrit, Dans le souffle et la mesure, Dans le sacre et l’accident.
Viatico
Il mondo è il mio luogo, dice la poesia. Imparo davanti alla strabiliante architettura delle montagne L’estrema opacità delle cose. Anche l’emozione è diventata cosa tra le cose. In quanto all’altezza o alla profondità, è nelle parole Più profonda e più alta di ogni realtà. In me, dice ancora la poesia, Non vi è nessuna differenza tra l’amore e la morte, Tra una chiave e un gesto d’addio, Tra il dono e l’apparenza, Tra la minaccia e l’acacia, Tra un quarto di luna e il bisbiglio delle radici, Tra una sedia di giardino e la nostra piccola epifania quotidiana. E il fiume scorre con le parole, sempre altro e sempre lo stesso. Io rimango dice finalmente la poesia Al fulcro del silenzio. Ogni volta che il vuoto è varcato, Quando il sole in me si desta O che la terra s’oscura, Nel respiro e la misura, Nel sacro e l’incidente.
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C’est un étrange voyage que de vivre Comme de boire jusqu’à la lie le verre Et de s’en arracher comme d’une ombre Laissant à l’horizon de soi pas même une forme vide Sauf cette poussière de mots cette dentelle Obscure qui a pour nom « souvenir ». Rien ne ressemble plus à ma vie que le poème Il connaît l’impossibilité d’être seul. En lui d’un mot à l’autre grandit l’imprévisible Mais aussi le chaos où les monstres sont tapis. Ce qu’il cache et ce qu’il crie N’est rien d’autre que bouche ouverte à l’étonnement, Ce grossissement d’insecte d’une foule égarée La pâle friperie des jours fanés, écume, grimace. La grande leçon de mon enfance Ce fut pourtant le refus des larmes Mais tout fait retour dans le grand silence nocturne. Mon poème prend le risque de lier le masque à l’aveu, Mots et cailloux dans la bouche, Le prononcé des ombres et des viandes. Ce n’est pas un miroir pour jeune fille, Ni un alcool pour un soir de fête Mais une prose qui ne connaît ni la pause ni la victoire.
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Vivere è uno strano viaggio Come bere il bicchiere fino alla feccia E allontanarsene come ombra fosse Non lasciando al proprio orizzonte neppure una forma vuota. Tranne questa polvere di parole questo merletto Oscuro che ha come nome “ricordo”. Nulla somiglia più alla mia vita della poesia Conosce l’impossibilità d’essere sola. In lei da una parola all’altra cresce l’imprevedibile Ma anche il caos dove i mostri sono occultati. Ciò che nasconde e ciò che grida Non è null’altro che bocca aperta alla meraviglia, Questo ingrandirsi d’insetto di una folla smarrita La pallida rigatteria dei giorni appassiti, schiuma, smorfia. La grande lezione della mia infanzia Fu tuttavia il rifiuto delle lacrime Ma tutto fa ritorno nel grande silenzio notturno. La mia poesia prende il rischio di congiungere la maschera alla confessione, Parole e sassi in bocca, La dizione delle ombre e delle carni. Non è uno specchio per ragazza, né un alcol per una sera di festa Ma una prosa che non conosce né la pausa né la vittoria.
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Les objets se sont endormis, tu parles dans leur sommeil, ils tombent sans retour dans la parole. Tu écoutes en eux d’obscures clameurs, des confidences, des énigmes, des colères. Avec les mots commence le monde tu es dans le vertige immobile des choses fixant l’horizon indécis du Temps.
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Gli oggetti si sono addormentati, parli nel loro sonno, cadono senza ritorno nella parola. In essi ascolti clangori oscuri, confidenze, enigmi, rabbia. Con le parole inizia il mondo sei nell’immobile vertigine delle cose mentre fissi l’orizzonte indeciso del Tempo.
da Comme un château défait, Poésie/Gallimard n° 398. 2004, p. 50.
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Poésie, tu t’éloignes sans apparence de douleur, Cela fait longtemps déjà. Mais les arbres et les routes sont toujours là, Les maisons résistent, les matins ré-apparaissent
Avec la liberté sans déchirure des vents, la suave pluie, les baisers de rencontre, […] Ainsi les voix que nous aimions sont à jamais Glacées, captives de l'ombre et de l'opacité, Sauf un enfant peut-être qui aura perdu le sommeil Et qui regarde l'éblouissante nuit.
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Poesia, ti allontani senz’apparenza di dolore, Da molto tempo già. Ma gli alberi e le strade sono sempre qui, Ma le case resistono, i mattini ri-compaiono Con la libertà senza strappo dei venti, La soave pioggia, i baci casuali, […] Così le voci che amavamo sono per sempre Gelate, prigioniere dell’ombra e dell’opacità, Tranne un bambino forse, che avrà smarrito il sonno E sta guardando La scintillante notte.
da Matière de nuit, nrf Gallimard 2004.
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Terre au-devant de nous. l’accent mobile des toits. les villages de plein vent. l’écart des routes. où sommes-nous ? l’air étal sans retombée vague après vague les heures les années le manque et la douleur lieu imaginaire lieu vrai il fait un vent de rossignol et de forêt vers la ville.
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Terra, davanti a noi. l’accento mobile dei tetti. i villaggi di pregno vento. lo scarto delle strade. dove siamo? l’aria ferma senza ricaduta onda dopo onda le ore gli anni l’assenza e il dolore luogo immaginario luogo verace soffia un vento d’usignolo e di foresta verso la città.
da Le nom perdu, poèmes, Gallimard 1987, p.27.
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C'est ainsi qu'ils s'éloignent les fleuves toujours plus loin et jamais ne reviennent si proches pourtant avec la vie qui lentement ne s'attarde pas.
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È così che s’allontanano i fiumi sempre oltre e mai tornano eppure così vicini alla vita che lentamente non indugia.
da Un besoin d’azur in Pages d’ombre éd. Gallimard.
L'icône Espérance
Il y a le bleu des brèches et des horizons pâles Il y a que je pense à un figuier comme A la perfection du sommeil Il y a que le ciel penche au-dedans de nous Et se relève : il y a la jeunesse des eaux. Il y a une icône au fond d'un temple Et le temps qui s'inscrit tout entier en toi Il y a ce poème qui te ressemble Une rose à jamais pure Rose noire la rose de ta voix. Il y a une arche au-dessus du froid Quelque chose qui respire tout près d'ici Je t'écoute est-ce toi est-ce moi Il y a une source qui ne finit pas.
L’icona speranza
C’è l’azzurro degli squarci e dei pallidi orizzonti C’è che penso a un fico come Alla perfezione del sonno C’è che il cielo s’inclina dentro di noi E si rialza: c’è la gioventù dell’acque. C’è un’icona in fondo a un tempio E il tempo che s’iscrive interamente in te C’è questa poesia che ti somiglia Una rosa per sempre pura Rosa nera della tua voce. C’è un’arca al di sopra del freddo Qualcosa che respira vicino a qui Ti ascolto sei te sono io C’è una sorgente che non finisce.
(inedito)
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Une sorte de chant pareil au jour qui traverse un feuillage et descend, furtif, jusqu'à l'herbe pauvre. Un chant qui parle d'octobre et d'eau cachée, de lointains sans amertume, fronts mêlés, collines heureuses. Et ce besoin d'espace entre les mots, comme une disposition de traces et de froissements. Ici entre les fleurs, avec le grain des ombres, la vie circule et boit, fugitive, à d'anciennes sources.
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Una sorta di canto identico al giorno che attraversa il fogliame e scende, furtivo, fino all’erba povera. Un canto che parla d’ottobre e d’acqua nascosta, di lontananze senza amarezza, di fronti mischiate, colline felici. E questo bisogno di spazio tra le parole, come una disposizione di tracce e d’increspature. Qui tra i fiori con il seme delle onde, la vita circola e beve, fuggiasca, ad antiche sorgenti.
da Syllabes de sable, poésies Gallimard, 2004.
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